Le samedi 15 juin 1940 entre 5 heures et 7 heures 30 du matin, à la sortie nord de Rolampont, s’est déroulé un combat d’une grande violence entre une batterie française de canons anti-aériens et des éléments blindés allemands.
Rapport établi par le lieutenant Perret, commandant la batterie française, sur le combat engagé à Rolampont, Haute-Marne, par la 1008e Batterie de Dca contre des engins blindés ennemis.
Publié dans la presse locale en juin 1966.
I. – Situation. Le vendredi 14 juin 1940, un ordre de repli enjoignait à la batterie de se replier d’urgence sur Chamarandes, à trois kilomètres au sud de Chaumont.
A 19 heures, malgré une dotation réduite en véhicules, la batterie quittait, avec tout son matériel, sa position de Bricon et arrivait à Chamarandes vers 19 h 30.
A 20 h 30, ordre était donné à la batterie de se rendre à Rolampont. Le commandant de batterie avait mission une fois arrivé dans cette localité, de décharger quatre de ses camions pour les retourner vides à Chamarandes. Ces quatre camions devaient transporter à Rolampont – où ils devaient embarquer en chemin de fer – tout le matériel et tout le personnel des unités faisant partie du groupement n° 4. De plus le commandant de batterie devait se mettre en relation avec la gendarmerie de Rolampont pour apporter pendant le stationnement de la batterie dans ce pays, l’aide de son personnel et de son matériel aux barrages qui devaient y être établis.
Mais la gendarmerie ayant évacué, sur ordre, le village, depuis le matin du 14 juin, et aucun barrage n’y ayant été établi, deux pièces furent mises en batterie sur le bord de la route, à l’entrée nord de la localité.
Les camions furent déchargés et le matériel qu’ils contenaient fut déposé sous un hangar à paille à 50 mètre à l’ouest de ces pièces. Ces quatre camions reprirent immédiatement la route et, le samedi 15 juin, à 2 heures du matin, leur mission était accomplie.
Cependant, de Rolampont, aucun train ne partait plus et un motocycliste apporta l’ordre de diriger les quatre camions avec leur contenu sur Langres.
C’est ainsi qu’à 4 heures du matin, le samedi 15 juin, la batterie était dans la situation suivante :
1) Deux pièces en batterie sur le bord de la route,
2) Quatre camions partis à Langres. Le matériel de la batterie qu’ils auraient du normalement transporter se trouvait disposé sous le hangar à paille,
3) La camionnette, un camion contenant des vivres et les cuisines se trouvaient sur la route, dans le village, à 200 mètres des pièces en batterie. Le camion avait une pièce en remorque,
4) Une moto, un camion et la voiture touriste étaient garés dans l’encoignure d’une maison, à 50 mètres en arrière des pièces en batterie.
5) Les trois autres pièces attendaient sur la route, dans le village, le retour des quatre camions partis à Langres qui devaient les prendre en remorque.
II. – Engagement avec l’ennemi. Vers 4 h 30 du matin, alors que l’on attendait patiemment le retour des camions partis à Langres tout en préparant le matériel qui devait y être chargé, n’ayant par ailleurs aucune crainte sur l’arrivée de l’ennemi que l’on ignorait se trouver si proche, des fuyards annoncèrent des chars ennemis venant de Chaumont par la route. Presque aussitôt, furent entendus dans le lointain des crépitements de mitrailleuses.
Hâtivement, la batterie se mit en mesure de barrer la route à ces engins.
Un gros arbre est scié à 100 mètres en avant des pièces, prêt à être abattu en travers de la route. Un mur de pierres fut rapidement élevé devant les deux pièces de 25 C.A. en batterie. Ces deux pièces furent placées sous le commandement du sous-lieutenant d’A… (Ndr. Joseph de l’Orne d’Alincourt.)
Une mitrailleuse Saint-Etienne fut installée sur la gauche de la route dans le chemin menant au hangar de paille, à l’abri d’une haie.
Un fusil-mitrailleur avec une équipe munie de fusils fut installée sur le talus du chemin de fer pour battre la nouvelle route au cas où elle serait utilisée par les engins.
Un autre F.M. et quelques fusils prirent position sur la droite de la route.
Le reste du personnel fut disposé en ligne entre la route et la voie ferrée.
Peu après, les engins blindés ennemis débouchaient et l’on put compter à la jumelle : deux chars, dix auto-mitrailleuses et deux citernes. Ils avançaient lentement en envoyant de temps à autre quelques rafales de mitrailleuses. Ils franchirent le passage à niveau situé à environ 300 mètres de la position de batterie (Ndr. L’ancien passage à niveau de la RN 19, aujourd’hui supprimé.)
A ce moment, l’arbre fut abattu en travers de la route.
On laissa approcher les engins jusqu’à 200 mètres avant d’ouvrir le feu des armes portatives et de la mitrailleuse.
Deux autos-mitrailleuses marchaient en tête. Devant l’attaque, elles laissèrent le passage aux chars qui continuèrent d’avancer tout en mitraillant.
Lorsque les chars furent arrivés devant l’arbre abattu, les deux pièces de 25 C.A. qui ne s’étaient pas encore dévoilées ouvrirent le feu à 100 mètres avec les seules munitions que possédait la batterie, c’est-à-dire des obus auto-destructeurs de tir contre avions, munis de la fusée correspondante (Ndr. Fusée instantanée.)
Surpris, les chars s’immobilisèrent et les canons et mitrailleuses se mirent à cracher de toutes parts. Chacun de nos coups imprimait une secousse au char ennemi se trouvant en tête. Les chars ennemis balayèrent avec leurs mitrailleuses tout le secteur, compris dans un angle de 90°, leurs munitions comprenant de nombreuses balles et obus traçants qui permettaient de suivre leurs trajectoires. La voie de chemin de fer d’où étaient partis les premiers coups fut particulièrement mitraillée.
Le combat dura ainsi quelques instants jusqu’au moment où le tir d’un chargeur complet par une pièce de 25 C.A. dut endommager la chenille d’un char.
A ce moment, les engins ennemis se retirèrent jusqu’au passage à niveau, le char atteint faisant entendre de bruyants grincements.
Là, les équipages allemands se concertèrent et il semble que l’équipement des chars ennemis comporte des hauts-parleurs car, à 300 mètres, nous les entendions discuter très distinctement.
Au bout de quelques minutes, apparut un monoplan Henschel biplace qui, certainement, venait d’être convoqué sur les lieux. Il survola tout le terrain à 30 ou 40 mètres d’altitude, et l’on voyait le pilote et l’observateur se pencher pour chercher à reconnaître au sol les moyens de défense.
Quelques coups de fusil furent tirés sur cet avion à chacun de ses passages. Il répondait à la mitrailleuse.
Au bout de quelques minutes, l’attaque fut reprise par les chars accompagnés par l’avion qui mitraillait. En même temps apparurent à 5.000 mètres d’altitude, trois D.O. 17 (Ndr. Certainement des Dornier DO 17 Z, bombardiers rapides bi-moteurs servant comme chasseur de nuit et avion de reconnaissance) qui patrouillèrent pendant tout le reste du combat, mais ne lancèrent rien.
Vers 7 h 30 alors qu’une meule de paille située à proximité de la route, ainsi que la paille située sous le hangar flambaient, allumées par les obus allemands, en soulevant une épaisse fumée, le sous-lieutenant d’A… signala à la voix, au commandant de batterie que toute les munitions (environ 800 coups) étaient épuisées, que les pièces ayant subi un violent feu étaient inutilisables et qu’il comptait trois morts et plusieurs blessés aux pièces.
L’ordre de repli fut alors donné en recommandant d’éviter la route balayée par les rafales de mitrailleuses et de canons.
Peu avant, le chauffeur de la touriste et celui du camion étaient venus, sous les balles, mettre en route et enlever leur véhicule, rangés à 50 mètres en arrière de nos pièces. Sur cet ordre, tout le personnel se retira en empruntant, les uns le chemin longeant le canal, les autres les bois situés à gauche de la route, cherchant à devancer les chars pour rejoindre Langres ou Dijon.
Tout le matériel, à l’exception des armes portatives dut rester sur place du fait qu’il n’y avait plus aucun camion.
Une équipe fit dix kilomètres à pied jusqu’à Hûmes devant les chars qui mitraillaient à chaque tournant de la route. Elle put monter à Hûmes dans un camion du Génie qui la transporta en direction de Dijon jusqu’à ce qu’elle rencontre un de nos camions qui roulait dans la même direction.
Une autre équipe, par les bois à l’ouest de Rolampont, fit quinze kilomètres avant de trouver un village dans lequel on leur donna une auto qui leur permit de rejoindre Dijon. Cette équipe fut mitraillée, dans sa fuite, par un avion d’observation.
Une troisième équipe avec le sous-lieutenant d’A…, partie à l’est de la route, n’a pas encore rejoint à la date du 30 juin. Il est à supposer qu’ayant eu à s’occuper des blessés, tous ont été faits prisonniers après le passage des engins ennemis.
Au total, sur 70 officiers, sous-officiers et hommes ayant pris part au combat, 32 ont pu être regroupés jusqu’à ce jour ; 38 ont disparu.
Le combat, commencé vers 5 heures du matin, se terminait à 7 h 30 environ sur un ordre de repli ; chacun a rempli son devoir malgré l’infériorité d’armement dans laquelle se trouvait la batterie, malgré le sentiment démoralisant de se trouver seuls et sans l’espoir d’aucun secours, malgré, aussi, le fait d’avoir été surpris par un ennemi que l’on attendait pas et que l’on croyait loin.
III. – En résumé.
1) L’action des engins ennemis fut très violente et l’on peut estimer à 20.000 le nombre de coups de mitrailleuses et de canons qui nous furent envoyés.
2) La liaison entre l’aviation et les chars ennemis de même qu’entre les chars eux-mêmes fut intime et leur permit la mise en œuvre immédiate de leurs moyens d’action.
3) Le point de résistance constitué en un temps court et, par suite de façon précaire, fut une surprise pour l’ennemi et permit à la batterie de stopper les engins blindés pendant deux heures et demie. Cette résistance retarda d’autant l’arrivée des chars à Langres et permit à nombre de colonnes de pouvoir rejoindre Dijon sans encombre.
4) L’action des canons de 25 C.A. eût été beaucoup plus efficace si la batterie avait disposé de munitions anti-chars. Il est à supposer qu’avec de telles munitions, la colonne ennemi aurait eu plusieurs engins sérieusement endommagés et qu’il lui eût été impossible, au cours de cette journée, de remplir sa mission.
B…, le 30 août 1940.
Annexe au rapport du 30 juin
Après l’épuisement des munitions aux pièces et l’ordre de repli qui a suivi, le sous-lieutenant d’A… a continué à se battre pendant environ une heure avec les hommes de son équipe. Le combat a été terrible. Ils ont essayé de se sauver par les bois, continuant à tirer avec leur revolvers et leurs fusils en emmenant leurs blessés. Beaucoup ont été tués à ses côtés. C’est alors que les Allemands les ont rejoints et faits prisonniers. Ils restaient quinze à dix-sept.
Ils sont repassés sur les lieux du combat. Quatre chars d’assaut ou autos-mitrailleuses gisaient complètement hors d’état, sans compter tous les motocyclistes tués.
Les Allemands ont emmené leurs prisonniers, d’abord à Chaumont, puis à Saint-Dizier, à pied, sans rien manger. Ils ont marché de 11 heures du matin à minuit.
Quelques braves femmes ont eu pitié d’eux et leur ont donné à boire.
Ces renseignements m’ont été donnés par Mme d’A… (Ndr. Mme Jacqueline Fery d’Alincourt, née de La Rochebrochard) qui a pu voir son mari interné à l’hôpital du collège de Saint-Dizier.
Le lieutenant P…, commandant la 1008e batterie de D.C.A.
Combattants morts pour la France à Rolampont en cette journée du 15 juin 1940
Léon Léopold Maurice
Michel, 21 ans, célibataire, soldat au groupe de
F.T.A., 3e compagnie du Guet, n° 64,
Gérard Yves Fernand Boilly, 19 ans,
télégraphiste P.T.T., brigadier au 404e D.C.A., 1008e batterie,
n° matricule 148,
Gilbert Octave Vioix, 29 ans, célibataire,
soldat au 404e D.C.A., 1008e batterie, n° matricule 5657
René Marie André Desmarest, 21 ans, soldat au
404e D.C.A., 1008e batterie, n° matricule 689,
Robert Henri Gircour, 19 ans, célibataire,
étudiant en médecine.
DEFENSE
NATIONALE N° 739 2-F.T.A./ |
Aux armées, le 30 juin 1940 |
ORDRE GENERAL N° 943 Le général de
Corps d'armée Bloch, commandant supérieur des cite à l'ordre de la BRIGADE le sous-lieutenant
Joseph de Lorne d'Alincourt de la 1008e Signé : général
Bloch. |
|
DESTINATAIRES : - M. le général commandant en chef l'ensemble des théâtres d'opérations G.Q.G. - Bureau du personnel (2 ex.) |
En captivité à
Nüremberg, le 23 juillet 1940, le sous-lieutenant de Lorne
d'Alincourt de la 1008e batterie du 404 R.A.D.C.A. détachée au
groupement 4 des F.T.A. rend compte des actions de ses
subordonnés pour lesquels il désire une récompense.
Privée d'une partie de ses moyens de transport par le
commandant du groupement 4, une partie de la batterie reçut le
choc des divisions blindées allemandes à Rolampont,
Haute-Marne. Deux pièces mises en batterie ouvrirent le feu sur
les engins ennemis. Mais l'absence d'obus anti-chars rendit la
résistance difficile. N'ayant d'autre abri qu'une murette de
pierres sèches construite hativement, les pièces résistèrent
jusqu'à destruction de leur matériel.
J'ai l'honneur de demander des citations pour :
MDL Pezeron - Brigadier(s)- Boilly - Regnault - chargés
d'abattre un arbre sur la route pour former barrage - se sont
acquittés de leur mission avec un courage digne de toute éloge.
Attendant jusqu'à la dernière minute pour le jeter à terre
afin de laisser passer les réfugiés. Pezeron blessé de
plusieurs balles aux avant-bras n'en a pas moins continué sa
mission - Brigadier Boilly tué - Regnault une main broyée -
Pézeron et Regnault évacués dans un car de réfugiés.
MDL Margot - Sicre - Excellents sous-officiers ont fait preuve
dans la défense anti-chars du 15 juin d'un sang-froid, d'une
abnégation, d'une autorité digne d'éloge.
Brigadier(s) Dellin et Cnudde - Brigadiers de pièces - ont
secondé leur chef de pièce avec le plus grand mépris du danger
- Se sont multipliés aux postes les plus exposés - Prisonniers.
(Le) Brigadier Boilly aidant le MDL Pezeron dans sa périlleuse
mission, à fait preuve de la plus grande bravoure - est tombé
sous les balles de l'ennemi - DUSSUD jeune pointeur plein de
bravoure et d'entrain, sans aucune protection a assuré le
pointage de sa pièce avec le plus grand sang-froid - blessé n'a
pas moins continué à remplir ses fonctions. Hospitalisé à
Chaumont.
Leur conduite antérieure permettait d'en espérer autant.
Peronne - Mulkens ; Waquet, blessé ; Vioix - Desmare(s)t, tués
: servants de pièces volontaires pour combattre aux postes les
plus exposés - Ont fait preuve de courage et de discipline.
Tous ces hommes volontaires pour combattre ne se sont pas
laissés ébranler par la vue des fuyards. Ils ont tous fait
preuve de profondes qualités de discipline et de confiance à
l'égard de leur chef qui est fier d'eux.
Ils méritent tous une récompense.
Un soldat du 69e R.I. ou (du) 99e R.I. dont j'ignore le nom a
voulu rester auprès de ses camarades artilleurs. Il a fait
preuve de courage et de discipline, et a été blessé au combat.
Nüremberg, le 23 juillet 1940
F.T.A. R.G.
404 R.A.D.C.A.
1008e Batterie de 25 C.A.
© jchr 14.11.2003 - MAJ : 19/11/2003
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