ROYER (Camille), "Le tumulus des Charmoiselles", Bulletin de la société historique et archéologique de Langres, n°57, T IV, 1er juillet 1898, pp. 221 à 236


LE TUMULUS

DES CHARMOISELLES

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Au finage de Rolampont, et au lieu dit Les Charmoiselles, en un point admirablement choisi où le vent souffle à l'aise, et où l'on domine sans obstacle toute l'étendue de la plaine qui sépare les bois de la Pâture de l'arête de la vallée de la Marne, on remarquait une sorte de monticule, ovale, long de douze mètres dans la direction de l'Est à l'Ouest, et large de huit environ. Sa hauteur apparente au dessus du sol était d'un mètre à peine et tout d'abord on le prenait sans hésiter pour un de ces - mergers - si communs dans la contrée. Pourtant, si de son sommet on eut examiné plus attentivement sa structure, on eut remarqué sans peine que la forme primitive en avait été sans doute altérée, car on devinait sous l'herbe la trace d'une circonférence de plus grand diamètre, qui l'enveloppait de toute part.
Avec l'aide de mon excellent ami, M. Brosser, de Rolampont (1), qui a bien voulu aplanir les difficultés préparatoires, j'ai entrepris de fouiller ce prétendu merger et dès les premiers coups de pioche, nous avons reconnu que nous avions la bonne fortune de rencontrer un tumulus à peu près intact.

(1) J'adresse ici un dernier hommage d'estime et d'amitié sincère et vive, à mon collaborateur Brosser, enlevé par une implacable maladie avant l'achèvement de notre travail. Camille Royer.


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Le labourage qu'il a subi autrefois, car les champs sur lesquels il repose sont depuis longtemps en friche, a pu contribuer à modifier sa forme. Mais les dégâts causés par lui ne sont pas considérables. Les grosses pierres qui sont un des éléments de la construction et dont beaucoup sont à fleur du sol, l'ont protégé contre les atteintes de la charrue. C'est plutôt à la présence d'une couche de pierres qui recouvre, de l'Est au sud-Ouest, en passant par le centre, le tiers environ de la superficie totale et dont l'épaisseur maximum est au Sud de 50 centimètres, qu'il faut attribuer le nouvel aspect allongé et ovale sous lequel nous l'avons découvert. Rien ne nous autorise à dire que le reste de la construction n'avait pas à l'origine une couverture semblable. Rien non plus ne nous permet d'affirmer que, comme nous le pensons d'ailleurs, elle existait seulement sur le point où nous l'avons constaté. Au cours de ce travail, il se rencontrera d'autres particularités auxquelles nous ne chercherons pas à donner une explication précise, et puisque l'occasion s'en présente nous dirons ici que nous nous bornerons à retracer ce que nous avons constaté matériellement, dans cette construction bizarre, où nulle tradition n'est respectée et qui n'a d'analogie avec aucune de celles que nous avons visitées nous-mêmes ou dont nous avons étudié la description.
Le tumulus mesure en diamètre, du Nord au sud, dix-huit mètres, et 21 m. 50 de l'Ouest à l'Est. Ces dimensions sont rigoureusement exactes, la ceinture de grosses pierres subsistant intégralement dans tout le parcours du périmètre. Il n'était donc pas régulièrement circulaire ; ce ne sera point la seule anomalie que nous aurons à constater dans sa manière d'être.
On peut le décomposer en deux partes bien tranchées, une calotte centrale et une seconde enveloppe moitié terre, moitié pierres, le tout enfermé par une bordure extérieure qui protège sa base et lui sert de limite. Nous allons les décrire dans leur ordre.


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Pour le premier début, les constructeurs se sont bornés, sans établir une aire proprement dite, à débarrasser la roche de tout ce qui pouvait occuper sa surface. Le fait n'est pas douteux car nous recueillons de très nombreux fragments de poteries, adhérents et collés à la roche même, sur toute l'étendue du sol ainsi préparé. Puis sur la roche mise à nu, nous avons affaire à une incinération.
Nous ne saurions dire que le cadavre ait été brûlé sur la place même. En nul endroit, la roche sous jacente ne nous a paru avoir subi les atteintes du feu. Nulle part elle n'a pris cette teinte rougeâtre que lui auraient donnée les flammes, et que nos ouvriers n'auraient pas manqué de reconnaître. Il nous semble plus probable que la funèbre cérémonie a été célébrée ailleurs et qu'on a rapporté à l'endroit de leur dernière demeure, les cendres du bûcher et les restes du mort. Ces derniers se composent de quelques fragments d'os calcinés, qui ont pris sous l'action de la chaleur et des graisses, une teinte gris bleuâtre que nous avons déjà eu l'occasion de constater ailleurs (1). Si les choses se sont passées comme nous venons de le dire, ces fragments d'os ont été tout d'abord disposés sur le sol dans un ordre déterminé, car nous les trouvons non pas en masse et au même endroit, mais successivement au contraire et à mesure des progrès du travail.
Sur eux, cendres et charbons sans aucun mélange de terre, broyés et travaillés, jusqu'à former à l'aide sans doute d'arrosages successifs, une sorte de mortier rudimentaire et grossier, couleur de suie, dans lequel il nous est impossible de recueillir un morceau de charbon de grosseur appréciable, ont été foulés et bat-

(1) Les tumulus de Montsaugeon (Mémoires de la Société archéologique de Langres, n°7. Camille et Joseph Royer et Flouest)


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-tus dans le but ordinaire d'imperméabilité. Ils forment ainsi une première enveloppe qui mesure 50 centimètres à son point le plus haut et qui s'étend en décroissant sur un diamètre de quatre mètres, entraînant la déduction d'un bûcher de grande dimension.
Trois vases de tailles diverses ont été déposés dans son épaisseur. Le temps, la charge des terres, l'humidité les ont brisés en petits morceaux, mais à n'en pas douter, ils étaient intacts au moment de leur dépôt, car nous rencontrons à la même place et en bloc, ce qui subsiste de chacun d'eux, et nous pourrons plus tard, à force de patience, les reconstituer presque en entier tous les trois. Deux d'entre eux sont de forme arrondie et ventrue, à col largement ouvert ; le premier très petit en terre uniformément noire, avec quelques moulures horizontales très simples, l'autre plus grand, en terre rouge en dedans et en dehors, noire dans la pâte, plus finement décoré de moulures horizontales et de deux lignes de cercles doubles et centrés, tous deux cuits avec une assez grande perfection relative ; le troisième, de forme plus évasée, rappelant celle d'un vulgaire saladier, en terre noire de toutes faces, comme le premier, mais plus épais, plus mal cuit, plus poreux, et par conséquent ayant plus souffert de l'écrasement et de l'humidité. tous trois sans distinction ni recherche, et de type très commun.
Des fragments épars de diverses autres poteries intentionnellement brisées se rencontrent çà et là dans la masse, et dans le voisinage des vases nous recueillons encore un mince fil de bronze, long d'une dizaine de centimètres, très déformé par l'oxydation et dont la destination n'est pas reconnaissable ; et l'extrémité, longue de trois et demi centimètres d'un instrument en os, cerclée de trois séries de traits en creux, qui tombe en poussière à la moindre atteinte.
Cette calotte initiale a été recouverte par un massif considérable qui a au-dessus d'elle une hauteur de 80


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à 90 centimètres et qui s'étend jusqu'à la rencontre de la bordure extérieure. Dans son agencement sans unité, il semble que les constructeurs se soient peu préoccupés d'observer les règles traditionnelles, et n'aient agi que suivant leur commodité ou leur fantaisie. toute une moitié du massif n'est faite que de terre ; ce sont des pierres au contraire qui constituent l'autre moitié, celles-ci disparaissant brusquement où la terre commence, comme si au cours du travail, on avait changé de méthode, pour une raison que volontiers on penserait n'être que la facilité plus grande de se procurer et d'amener à pied d'oeuvre, l'un ou l'autre genre de matériaux.
Le plan ci-joint en fera mieux comprendre la disposition qu'une description qui, malgré nos efforts, resterait toujours fort embrouillée. nous donnerons seulement les détails de leur composition respective.
La terre d’abord, à laquelle restent mélangées les pierrailles du sol, n’est pas homogène dans son essence. Nous la trouvons formant, ici une couche d’un noir intense, semblable au meilleur humus d’un jardin maraîcher ; et là, elle a cette couleur brun rougeâtre, qui lui a fait donner le nom de rouget, par nos paysans ; là encore elle se montrera par couches noires et rouges mêlées au hasard. Nulle part nos ouvriers ne la reconnaissent analogue à celle de la plaine qui nous entoure, et il n’est pas douteux qu’elle n’ait été apportée d’une distance assez grande et de plusieurs points différents.
Elle a été fortement battue et comprimée comme celle de la calotte centrale dans le même but d’imperméabilité. La pioche a peine à la pénétrer, et la détache par gros blocs qui tombent entiers sur le sol, et qu’il faut briser ensuite. Nous y recueillons des fragments de poteries, très nombreux, immédiatement au-dessus de la calotte centrale, plus clairsemés à mesure qu’on s’éloigne, et deux morceaux d’un polissoir en pierre dure, brisé à dessein comme les


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poteries, et sans doute déposés comme elles, près du mort, à titre d'offrande votive.
Comme ceux de la terre, les éléments de la partie

construite en pierres sont disparates et ont été tirés comme elle de différents points de la contrée. Nous trouvons par séries, de vrais moellons carrés et massifs, puis des laves longues et minces qui se brisent sous la pioche, puis encore, et ceux-ci, sont en immense majorité, des quartiers de roche, en forme de dalles grossières dont beaucoup sont de très grandes dimensions. Il est impossible de dire qu'on ait suivi un ordre même élémentaire dans la mise en place de tous


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ces matériaux. Ils occupent toutes les positions imaginables et semblent sortir, disent nos gens, de tombereaux culbutés sans soin. Mais il faut remarquer qu'aucune de ces pierres, moellons, laves ou dalles, n'est en contact immédiat avec sa voisine dont elle est toujours séparée par un matelas de terre plus ou moins épais, qui forme mortier entre elles, en rend l'extraction difficile et impossibles les éboulements.
Nous recueillons dans ces pierres des fragments de poteries plus nombreux à la base qu'au sommet ; puis un petit morceau du tranchant d'une hache en silex poli ; puis encore, un fragment plus gros d'une autre pierre polie dont nous ne pouvons reconnaître l'usage, puis, enfin, l'épée de bronze qui fait tout l'intérêt de notre travail.
Elle gisait exactement dans la direction de l'Ouest et en travers de cette direction, la pointe au Nord, la poignée au sud, à 6 mètres du centre, à 60 centimètres de profondeur, et à 10 centimètres au-dessus du sol. Malgré les précautions les plus minutieuses, il nous a été impossible de constater le moindre arrangement pouvant faire prévoir la présence d'un tel objet. Si des signes peu apparents nous avaient échappé avant sa découverte, les soins extrêmes que nous avons pris ensuite pour visiter l'alentour de son gîte, espérant trouver la bouterolle, nous les auraient fait reconnaître immanquablement. Un ouvrier qui venait d'extraire une pierre de forte dimension a ramené l'épée par la pointe au bout de sa pioche ; d'autres pierres de même taille continuaient le massif, et la terre qui, comme nous l'avons dit, sert de mortier à la construction, n'était pas plus abondante sur ce point que partout ailleurs. Il est donc certain pour nous que les constructeurs se sont bornés pour tous frais à la déposer entre deux pierres, l'ont recouverte de terre, et ont continué leur travail comme si rien d'anormal ne s'était passé.


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Sa mesure totale est en longueur de 68 1/2 centimètres. La poignée, petite comme d'habitude, a 96 millimètres, dimension maximum ; mais la partie destinée à être saisie par la main n'en a guère que 74.
D'une extrémité à l'autre les croisières ont 77 millimètres, et la lame 37 millimètres dans sa plus grande largeur ; son épaisseur est de 7 millimètres.
Notre dessin en montre très exactement le type et l'ornementation. nous ne décrirons donc que ses particularités les plus caractéristiques.

Elle est à pointe franchement mousse et ne pouvait


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et ne pouvait servir qu'à frapper de taille. Elle est assujettie à sa poignée de bronze par deux rivets de bronze aussi,

 

placés à la base de la lame et à l'angle interne des croisières. Ces rivets, chassés de force dans les trous destinés à les recevoir, n'ont pas de saillie, et ont été limés jusqu'au niveau des croisières et polis avec elles. Leur présence se révèle très distinctement néanmoins par la couleur bleu-turquoise de leur patine, qui dénote un métal d'une autre composition que celui de la poignée et de la lame. Vraisemblablement la lame n'a donc pas de soie, et les trois rivets saillants que porte la fusée sont simplement ornemental ; il en est de même de celui qui se trouve au centre du pommeau. D'ailleurs on s'aperçoit


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aisément, en les regardant à la loupe, qu'ils font corps avec le métal.
Lame et poignée sont, croyons-nous, en même matière. Leur couleur est identique et le poli de l'époque, partout où il a subsisté, a pris une patine uniforme d'une charmante couleur bleu sombre violacé. Malheureusement il n'a pas résisté à l'oxydation et, sur les trois quarts de sa surface, l'épée est recouverte d'une lèpre de vert-de-gris d'un fâcheux effet. A part cette lèpre, elle est entièrement intacte et sans la plus petite éraflure.
Elle est d'un type que M. Salomon Reinach, à l'extrême obligeance duquel nous devons les détails qui suivent, a appelé - type de Vaudrevanges (1), - d'après une épée semblable à la notre, trouvée dans ce village de Lorraine, avec de magnifiques pièces de harnachement. Ce type serait originaire des cités lacustres de la Suisse, d'où il aurait rayonné dans la vallée du Rhin et de ses affluents, pour y rester assez étroitement localisé. Sept exemplaires ont été authentiquement recueillis en suisse (2), et neuf dans la vallée allemande du Rhin ; quatre seulement sont connus en France, venant : de Vaudrevanges (3), un de Trévoux, un d'Alésia (Côte-d'Or) et un de Montsaunain (Côte-d'Or) ; le nôtre serait le cinquième (4) et continuerait à prouver que les épées comme les rasoirs des stations lacustres se retrouvent dans les tumulus de Bourgogne, et que par suite la civilisation des

(1) Catalogue sommaire du Musée national de Saint-Germain, p. 1 8-145, Salomon Reinach.
(2) Notamment à Moeringen, où une épée identique à la notre a été trouvée avec un mors semblable à celui de Vaudrevanges.
(3) Vaudrevanges n'est plus en France depuis les traités de 1815.
(4) Il est à noter, toujours d'après M. Reinach que nous ne saurions assez remercier de la bonne grâce par lui mise à nous donner tous ces précieux renseignements, qu'une seule épée de cette série a été juqu'alors découverte authentiquement dans un tumulus. C'est celle du Musée de Darmstadt, provenant du tumulus de la forêt de Lorsch (Bade). Les autres viennent des cités lacustres, de cachettes, ou de trouvailles isolées.


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tumulus se rattache étroitement à celle de ces stations.
Sur cette donnée, il deviendrait possible d'assigner au tumulus des Charmoiselles et à l'épée une date approximative, qui coïnciderait avec celle qu'on attribue aux cités lacustres et à la première phase de l'âge du fer dans l'Europe centrale. M. Reinach tient cette période pour antérieure d'au moins quatre siècles à la conquête de César La présence dans le tumulus de boutons de bronze, dont nous parlerons plus loin, semblables en tous points à ceux qu'on a trouvés à Halstatt, viendraient à l'appui de cette supposition, l'époque de Halstatt se confondant avec les débuts de l'âge de fer. Mais ces questions sont trop délicates pour que nous essayions de nous y étendre davantage.

Si nous reprenons la construction où nous l'avons quittée, nous n'aurons plus à parler que de la bordure qui l'entoure. C'est la seule partie qu'on ait traitée avec soin et méthode. Les pierres qui la composent, toutes en forme de dalles, de dimensions variables, très souvent énormes, sont régulièrement appuyées sur l'édifice qu'elles protègent, se recouvrant l'une l'autre comme des laves sur un toit. Leur profondeur moyenne est d'environ 50 centimètres, leur largeur varie de 50 à 80 centimètres, et comme elles faisaient saillie trop accentuée au dehors, on a comblé cette sorte d'escalier avec la terre et les pierrailles des champs voisins, le talus ainsi formé mesurant 50 à 60 centimètres de large et rejoignant sans transition brusque la pente du tumulus et le niveau de la plaine.
On aura remarqué que dans tout le travail jusqu'alors décrit, nous n'avons rencontré d'autre mort que celui du centre. Ce n'est en effet que sous le gazon, littéralement, que nous allons trouver de nouvelles sépultures, entièrement ruinées, grâce à l'extrême perméabilité de leur mince couverture. Ce ne sont plus ici


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que des inhumations ; la superficie du tumulus, du Sud-ouest au Nord-est, en est toute parsemée, et en évaluant leur nombre à dix au minimum, nous sommes sûrs de rester au-dessous de la vérité. Leur présence ne se révèle que par quelques débris de gros os, de tibias, de fémurs. Une ou deux dents sont tout ce qui subsiste d'un squelette ; les crânes eux-mêmes ont disparu. Le mobilier funéraire qui, à défaut d'ossements, pourrait guider nos recherches, est totalement absent. Ce n'est qu'à force de patience et d'attention que nos ouvriers recueillent un fil de bronze uni, qui parait avoir constitué le tiers environ d'un torquès très simple et qui, sur toute sa longueur, porte les bavures brutales de la fonte, et deux autres fragments de bracelets ou d'anneaux dont un fil de bronze, aussi simple que le précédent, avait fait tous les frais.
Et nous n'avons plus à parler que du revêtement de pierres, dont nous avons dit quelques mots au début de notre relation, qui, s'étendant du sud-ouest au Nord-est, recouvrait le centre et environ le tiers de la superficie totale, atteignait au sud sa profondeur maximum de 50 centimètres et n'avait plus, sur ses rives, d'épaisseur appréciable. Sur toute son étendue, il présente, dans son agencement, le manque de soins, la négligence que nous avons constatés partout, mais accentués d'une façon plus saisissante. Les pierres de dimension moyenne, qui en sont les matériaux, sont ramassées au hasard, sans souci de leur forme et confusément amoncelées. La terre qui remplit leurs interstices, et à laquelle sont mélangés les inévitables fragments de poteries, n'a pas même été disposée avec les précautions sommaires que nous reconnaissons dans le massif de pierre intérieur. Elles ne sont pas assemblées entre elles, s'arrachent sans peine et sont en complet désordre. Les sépultures qu'elles recouvrent, au nombre de huit ou dix, ne sont pas moins ruinées, moins détruites que leurs voisines du gazon, car leurs


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conditions sont les mêmes, et leur enveloppe également perméable. Il est impossible de suivre en son entier le squelette auquel appartiennent les misérables restes qui apparaissent çà et là, impossible de déterminer l'orientation d'un seul corps. On a devant ce chaos l'impression d'un travail de moindre importance, plaqué par des ouvriers plus pressés au flanc du tumulus, sans respect pour ses proportions, et dont les dimensions n'auraient jamais excédé les limites d'aujourd'hui ; qui fait corps néanmoins avec tout l'ensemble et s'y rattache comme antiquité et comme origine avec une évidence qu'on perçoit d'instinct très clairement, sans pouvoir en donner d'autres preuves que l'allure générale des sépultures, aussi ruinées dans les pierres que sous le gazon ; que la couleur et l'état des ossements partout identiques ; que les fragments de poteries, toujours de même apparence ; que le mobilier funéraire à peu près aussi pauvre d'un côté que de l'autre, et dont l'énumération ne tiendra guère de place.

C'est en tout et pour tout :

- Un petit anneau de bronze ayant pu servir d'attache pour un vêtement ;

- Un autre anneau de bronze, dont le vide mesure quatre centimètres, muni d'une sorte d'appendice, auquel nous ne

connaissons pas de similaire, et


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dont la destination nous échappe ; nous en donnons la reproduction, de grandeur naturelle ;

- Deux petits bracelets ouverts, de bronze aussi, encore passés aux poignets d'un de nos squelettes les moins détériorés ; ils sont le produit d'une simple fonte, donnent en coupe une demi sphère un peu aplatie, de six millimètres de diamètres, et sont rehaussés de quelques lignes verticales en creux obtenues probablement par des retouches à la lime ou au burin ;

- Une quantité de petits boutons de bronze, hémisphériques, de 9 millimètres de diamètre, si fragiles et si délicats, que le métal, détruit par l'oxydation, tombe en poussière à la moindre atteinte, et que, malgré nos précautions les plus minutieuses, nous n'en pouvons recueillir qu'une soixantaine, - dont deux intacts seulement - sur un nombre que nous estimons au double de ce chiffre. Nous les reproduisons aussi en vraie grandeur. Ces boutons, très semblables aux clous dorés qui garnissent nos fauteuils, se prolongeaient, de chaque côté, en une étroite bande coulée avec le bouton lui-même, qui, passée à travers un cuir ou une étoffe, et repliée en-dessous, assurait la fixité de cette bizarre parure. L'étoffe ou le cuir en question devait être mince, car la place ménagée entre les bandes repliées et le bord de la tête du bouton, est d'un millimètre à peine. Dans son livre de l'Age de bronze (1) John Evans dit "qu'au cimetière

(1) John Evans ; l'Age de bronze


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de Halstatt, on a trouvé un nombre immense de petits boutons, dont les vêtements des guerriers étaient entièrement couverts." La description qu'il en donne s'applique exactement aux nôtres, mais ceux qui les portaient ici étaient-ils des guerriers comme J. Evans l'affirme ? Avec eux se trouvaient plusieurs dents. Ornaient-ils donc un collier ou une coiffure ? Nous ne pouvons rien en dire de plus précis.
Pour en finir, citons la calotte d'un autre bouton de même genre que ceux-ci, s'accrochant de même, mais de grosseur double avec une dépression conique en son milieu, et nous aurons énuméré tout ce maigre butin
Quelles sont donc toutes ces sépultures dont pas une n'empiète sur l'intégrité de la tombe primitive, et qui semblent s'être fait la loi de n'occuper à sa surface, qu'une place modeste et sans abri ? Pourquoi ce revêtement de pierres qui, lui aussi, s'abstient de jeter ses assises au coeur de l'édifice, et qu'on croirait ajouté à son flanc dans le but de donner asile à des morts trop nombreux pour la place disponible ? Pourquoi cette apparente infériorité qui se continue jusque dans la différence des rites funéraires, s'il nous est permis de considérer les rites de l'incinération comme plus antiques, plus nobles et plus purs que les inhumations habituelles et vulgaires ? Que faut-il penser de toutes ces indications qui, dirait-on, s'unissent pour nous montrer ces nombreux personnages de second rang, continuant à escorter dans la mort celui qui avait été peut-être leur époux, leur maître ou leur chef ? Et l'esprit va de lui-même à ces anciens textes dont on n'ose approfondir les révélations effrayantes, et si on admet leur véracité, si on se représente tous ces humbles comparses suivant, le même jour, l'incinéré des Charmoiselles dans son dernier repos, quel est l'évènement redoutable, la catastrophe ou encore la cérémonie sauvage qui explique et justifie leur ensevelissement simultané ?


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Autant de questions mystérieuses et troublantes auxquelles nous n'essaierons pas de chercher une réponse, parce que nous n'avons droit, dans la science, qu'au rang d'amateurs modestes, sans prétentions au titre de professionnels ; parce que nous laissons à des plumes plus autorisées la tâche de résoudre ces séduisants problèmes ; parce que nos ambitions sont satisfaites et nos peines payées, si nous avons eu la joie d'apporter une donnée, un renseignement, un document nouveaux à ceux qui, comme nous, prennent intérêt aux origines si ténébreuses de l'histoire de notre pays.

Rolampont, 20 juillet 1897,

CAMILLE ROYER.


La pagination de l'édition originale a été ici respectée


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